Contexte
Sensibilisés aux enjeux du dérèglement climatique et désireux de trouver des solutions concrètes à leur niveau, plusieurs agriculteurs du Parc Naturel de Chevreuse ont décidé de réduire leurs propres rejets de CO2 en produisant de l’huile de colza utilisée ensuite comme carburant et qui se substitue alors aux dérivés du pétrole. L’initiative est plus spécifiquement venue de deux agriculteurs du Parc, après une formation sur les solutions écologiques adaptées à leur activité dispensée par la Chambre Interdépartementale d’Agriculture d’Île-de-France. À la suite de cette formation, ils ont fédéré 9 autres agriculteurs pour l’acquisition d’une presse à huile de fabrication française.
L’aspect écologique tient au fait que, lors de leur croissance, les plantes (comme le colza) absorbent le CO2 rejeté par leur combustion en tant que carburant. Si on ne tient compte que de cet aspect brut, le bilan carbone se limite à l’impact de la production elle-même. Or, dans le cas présent, l’impact environnemental est réduit au minimum grâce à l’aspect local et artisanal du projet. Les études montrent en effet que la production de carburant végétal à grande échelle présente des inconvénients environnementaux : déforestation, bilan carbone médiocre une fois pris en compte l’ensemble de la chaine transformation-transport-distribution, etc. En s’en tenant à des circuits courts et des productions locales à partir de terres agricoles déjà existantes issues d’anciennes jachères, les agriculteurs du Parc évitent ces inconvénients.
Présentation du projet
Techniques de production
La presse, fournie par « La Mécanique Moderne » et de fabrication française, est de type OLEANE 50 avec filtre à plaques de la même marque de type FP 400. Le tout est monté sur une remorque bagagère de moins de 750 kg tractable par une voiture. Le colza doit être de qualité irréprochable (sec, très propre et exempt de tout corps étranger). Un aimant se trouve à l’entrée de la presse pour recueillir les éventuels boulons ou autres métaux qui seraient présents dans le colza et qui pourraient détériorer la machine.
Elle nécessite aussi une présence très régulière pour évacuer les tourteaux, recharger le colza, vérifier le bon fonctionnement et nettoyer les filtres à plaques (cela prend une heure et doit être fait tous les jours). La presse peut fonctionner environ 10 heures sans présence ce qui n’impose pas de se lever la nuit. L’ensemble des moteurs et pompes sont automatisés mais la presse ne fonctionne pas bien ou n’extrait pas bien l’huile s’il fait froid. Le mieux est de travailler durant les périodes chaudes ou bien en intérieur durant les périodes froides.
Au final, elle permet la production en moyenne de 15 litres d’huile à partir de 50 kg de graines de colza ainsi que de 35 kg de tourteau, le tout en une heure. Il faut deux à trois semaines aux onze agriculteurs pour transformer toute leur production de colza.
Gestion de la production
Une charte encadre l’usage de la presse entre les agriculteurs. Chaque copropriétaire possède une part égale de la presse. L’assurance est également payée à part égale par chacun. Un compteur d’heure est par ailleurs installé sur la presse pour proratiser les frais d’entretien généraux lies à l’usure normale.
Concernant l’organisation, une réunion annuelle a lieu pour planifier les périodes d’utilisation de chacun. Un adhérent s’est porté volontaire pour assurer le travail de suivi de la presse (état mécanique et révision si besoin, où se trouve la presse et qui l’utilise). Les agriculteurs essayent de limiter au maximum les déplacements. L’ensemble des copropriétaires d’un même secteur s’arrangent pour utiliser la presse durant les mêmes périodes. Il faut aussi planifier la fourniture en tourteau de l’élevage avec lequel ils travaillent (pas de période sans tourteaux et pas de stockage des tourteaux sur de longues périodes pour éviter sa dégradation).
Usages
L’huile, pouvant être utilisée pour la consommation alimentaire, est principalement consommée en tant que carburant dans les tracteurs. Utilisée à hauteur de 50 % dans les réservoirs, ce carburant fonctionne parfaitement. Il peut même être utilisé à hauteur de 70 % dans les anciens tracteurs, voire 100 % si l’huile est préalablement chauffée à 70° C. Par contre, la viscosité du produit interdit son utilisation en hiver. Les travaux d’été (moissons et déchaumage) nécessitant beaucoup de carburant, ce complément constitue environ un tiers de la consommation annuelle totale de carburant des exploitations.
Les tourteaux de colza sont quant à eux recyclés dans l’alimentation animale : ils sont revendus aux exploitations de bétails locales pour limiter, là encore, les rejets de CO2 liés à l’approvisionnement en matières premières.
Modèle économique
Économiquement, le projet n’est pas encore rentable. Compte tenu des coûts liés à la presse (entretien, assurance, usure etc.) le coût de revient du litre d’huile en 2012 se situe à environ 1,25 €/litre (coût huile brute = 1,10 € + charges fixes 0,15 €), ce qui reste supérieur à celui du fioul. À contrario, l’année de l’investissement (2007), les cours étaient très bas et le pétrole encore assez cher. Pour certains des agriculteurs, comme Xavier Brébant, cette année là, le coût de revient était celui du fioul. La compétitivité économique varie en fonction de différents facteurs :
– des cours du colza, qui sont très fluctuants ;
– du prix auquel sont vendus les tourteaux de colza (qui sont de surcroît de plus en plus difficiles à écouler, faute d’un nombre suffisant d’élevages à proximité ;
– de la teneur en huile ;
– de la part de la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, anciennement TIPP) reversée aux exploitants (ce qui abaisse artificiellement le cours du fioul) ;
Un projet innovant
Ce projet reste une première dans les Yvelines. La substitution des produits du pétrole en circuit court reste peu répandue dans le monde agricole malgré son meilleur bilan environnemental.
Témoignage
Xavier BREBANT, exploitant agricole, à l’origine de l’initiative et utilisateur de la presse
Quel bilan tirez-vous du projet dans son ensemble ? Qu’est ce qui a bien ou moins bien marché ?
« Le bilan est assez mitigé. Il y a une contrainte de temps nécessaire pour le fonctionnement de la presse avec une rentabilité jamais assurée. De plus, la valorisation des tourteaux est une chose délicate dans notre secteur car peu d’élevages sont présents et certains ne veulent pas des tourteaux de colza car ils marquent le lait d’un goût un peu prononcé. Ceci m’a obligé à aller loin pour trouver un preneur. L’organisation du planning a toujours été parfaite. Parfois un peu de retard à cause de fortes gelées mais très rarement. La presse fonctionne très bien. »
Le bilan environnemental et économique est-il conforme aux objectifs ?
« C’est plus difficile à évaluer. Je dirais oui car c’est une filière vraiment très courte même si je n’ai pas de chiffres à l’appui. »
Quels ont été les difficultés rencontrées ?
« Comme dit précédemment, la valorisation des tourteaux est difficile. Nous avons aussi peu de recul par rapport à l’impact de ce carburant sur les moteurs. Les constructeurs de tracteurs ne garantissent plus leurs moteurs quand vous utilisez ce type de carburant. D’autre part, les tracteurs fonctionnant avec une rampe d’injection commune haute pression n’acceptent pas l’huile de colza brute. Seuls les anciens matériels peuvent fonctionner avec cette huile. J’ai utilisé un mélange 50/50 durant les travaux d’été (la moissonneuse est parfaite pour cela puisque le moteur tourne dans des conditions chaudes et toujours à pleine charge ou bien tracteur au déchaumage), puis j’ai incorporé seulement 20 % d’huile dans mon fioul pour le reste de l’année (avec des tracteurs travaillant en charge = labour, semis). »
Conditions de reproductibilité
Suggéré par la chambre d’agriculture des Yvelines, ce type de projet est susceptible d’intéresser tous les agriculteurs qui disposent d’une culture qu’ils peuvent transformer en huile à usage de carburant (comme le colza ou, plus généralement, les oléagineux). La mutualisation permet de répartir facilement le coût et le matériel disponible est facile à mettre en place et à exploiter.
Bilan environnemental
L’huile représente 30 à 35 % de la consommation annuelle de carburant des exploitations et une réduction des émissions de gaz à effet de serre équivalente.
Bilan économique
Investissement : 16 500 € HT (coût d’achat de la presse) (mutualisation de l’achat : 11 x 1 500 €)
Subvention PNR : 4 950 € (soit 30 % de l’investissement)
Fonctionnement : Entretien, électricité, amortissement, assurance = 0,15 €/L huile pour une production de 3000 L/an.
– Substitution pour 1/3 des besoins annuels de carburant des exploitants
– Coût de production variable selon les années : 1,25 € / L en 2012, (non rentable pour cette année là face au énergies fossiles)
– Compétitivité économique fonction du cours des énergies fossiles